
Lettre d'amour : 59. Cartes sur table - La 58e Lettre (Françoise CDS)
Je t'écris un "bonjour" aussi discret qu'un murmure, pour que tu le retrouves au détour de cette lettre.
Aujourd'hui, je prends le risque de t'écrire, de poser mes cartes, une par une.
Je ne te nommerai pas. Tu ignores qui je suis, mais je t'écris cette lettre, et tu me lis.
Comme au poker, chacun cache son jeu, emploie des stratagèmes raffinés pour deviner quelle carte le croupier distribuera ensuite. Tout semblerait être une histoire de statistiques et de stratégies, une prévision des mouvements de l'autre. Mais mon coeur, comprends bien : je ne cherche pas à voler ton trèfle pour te mettre sur le carreau.
L'amour, comme le jeu, ne connaît pas toujours de règles précises. Il est fait d'incertitudes, d'ombres, de gestes et de regards. Perdre ou gagner n'a jamais été l'essentiel, c'est ce qu'on retient des parties jouées qui importe. Ce qui compte, c'est comment on s'améliore pour que, lors du prochain tour, peut-être serons-nous enfin partenaires, gagnants ensemble.
Tu sais, mon grand chat, je ne sais pas bluffer. Je préfère jouer en duo, exclusivement. Jouer solo m'a appris les combinaisons infinies de ce Jeu de l'Amour : cacher son jeu, échanger des cartes, se défausser, ou la plus précieuse de toutes, jouer la carte face cachée. Cette lettre est la 58e carte du paquet - à toi de décider si tu veux la retourner.
Malgré cette partie de bataille complexe, tu continues de lire. Tu me laisses donc la main, alors que tu avais l'avantage. Dis-moi, à quel jeu veux-tu jouer, vraiment ? Continuer la bataille, tenter le black-jack, ou bien oser la belote ? Autrefois, j'aimais ces jeux aux règles bien tracées, aux joueurs différents mais qui, d'une manière ou d'une autre, comprenaient l'art de me surprendre.
Aujourd'hui, je me dévoile un peu plus. Je te confie mon jeu secret, mon paquet de cartes soigneusement gardé. J'espère que tu en feras bon usage et que le valet de coeur cèdera sa place au roi de coeur, pour prendre en main la suite de cette partie. Tu as un paquet d'atouts, il faut bien le reconnaître. Et tu es aussi un fin tricheur... si le poker est ton jeu, sache que mon intuition sait voir au-delà des cartes. L'art de la triche en amour a mille nuances, comme Sacha Guitry l'a si bien romancé. Alors, dis-moi : quel tricheur es-tu ? L'ingénieux sournois, le charmeur audacieux, le rêveur idéaliste ?
Ce jeu de piste que tu as si subtilement tissé en parlant mon langage m'a permis de te comprendre un peu mieux. Tu m'as laissée deviner, à mon rythme, ce que tu ressens, ce que tu désires. Parfois, je me demande si tu as été aidé par d'autres rois ou par des jokers. J'aime à croire, naïvement peut-être, que tu es un tricheur amoureux, qui n'a montré qu'un aperçu de son jeu pour me mettre à nu, moi, la petite curieuse.
Les jeux de mains, les mélanges de cartes, deviennent alors terriblement tentants. Je pourrais me laisser porter par cette danse, mais persister dans cette chorégraphie invisible pourrait être notre échec. Un "nous" vite étouffé si nous ne trouvons pas un rythme commun. Au-delà des stratégies et des intuitions, il nous faudra mettre du corps, une cadence précise, un métronome intime réglé juste pour toi et moi.
La danse, mon cher merle, n'a jamais été qu'une parade pour la société ; elle est une philosophie, un choix du partenaire. Elle favorise une synergie, un mouvement des âmes qui n'appartient qu'à nous.
Nous voici à la fin du jeu de cartes. La dame de coeur apparaît, le tour du magicien s'achève. Peut-être ai-je trop tardé à jouer mon coup, mais je continue de croire que ce jeu en vaut la chandelle.
Abandonnons les illusions, laissons les cartes s'évanouir et allons danser, là où personne ne nous observe.
Mon chat, je rêve de transformer tes miaulements discrets en ronronnements de bonheur. Et si, un jour, nous devions danser ensemble sur les toits d'ardoise, peut-être pourrions-nous, enfin, jouer au jeu des 7 familles.